mercredi 4 septembre 2013

La revanche des hommes

Haro sur les hommes ! Ballotté entre les imageries médiatiques, sociétales et ô combien polarisantes du métrosexuel – citadin assumant une part de féminité - et de l’übersexuel – nature et laissant poindre son animalité (incarné par cette mode extravagante des barbes hyper fournies à faire rougir le plus féroce des ursidés), pris dans l’étau des exigences contradictoires des femmes (spontanéité/maîtrise, créativité/stabilité, rassurance/imprévisibilité, indépendance/considération, tendresse/brutalité…), subissant de plein fouet le culte de la performance, l’homme post-moderne se cherche, parce qu’il s’est perdu…

 
Deux tendances s’opposent pourtant en cette année 2013: l’une résolument pessimiste, symbolisée par la sortie au printemps dernier, en traduction française, de l’essai dévastateur de Hanna Rosin, The End of Men. L’ouvrage, remarquable, démontre fort à propos à quel point la gent féminine a pris le pouvoir et ne laisse pas de reléguer les hommes au rang de sparing partner. Certaines campagnes récentes confirment d’ailleurs le phénomène, telle celle d’Orangina qui, à la TV, nous donne à voir des jeunes hommes aux abois, qui humiliés et invectivés par leur petite amie lors d’une rupture sentimentale, qui ignorés par leur femme « hyène » préférant une sortie entre copines sauvageonnes plutôt qu’un dîner amoureusement concocté, disponible à son arrivée. Le romantisme est foulé au pied, la sensibilité confinée au rang d’hérésie, l’attention et la considération jugées comme une faute de goût. On se gardera de creuser ici les fondements psychanalytiques de cette agressivité binaire… Comme déjà évoqué ici-même, on se contentera d'y voir l'incarnation extrême d'un égotisme forcené.

Aux antipodes - ou sans doute en réaction ? – la poussée d’une éthique et d’une esthétique masculine renouvelées se fait jour, via deux marques dures au mâle : Lui et Vanity Fair. Quasi concomitantes, la sortie de la version française de Vanity Fair et la renaissance du magazine Lui semblent participer du même esprit, défini par Frédéric Beigbeder (directeur de la rédaction de Lui) : « Ce qui n’a peut-être pas changé c’est l’esprit,  l’esprit un peu français aussi. Etre un peu obsédé sexuel mais en même temps savoir se retenir, aimer l’élégance, le style ». Un homme distingué, mais pas compassé. Un homme qui assume de s’assumer. Qui ne mâche pas ses mots machos, mais y insère des saillies de subtilité. On pourra y voir un progrès, une réaffirmation salutaire, ou bien une régression partielle : on eût imaginé, en effet, mentor viril plus actuel qu’un Beigbeder plus si jeune et, surtout, symbole d’une décennie 2000 déjà si lointaine et obsolète dans son contexte, ses codes et ses repères d’alors…

 

jeudi 18 juillet 2013

La confusion de l'ego

Le tout à l’ego, version 2013. Dans la chaleur estivale, Nutella et Coca-Cola trustent les avant-postes du buzz via la personnalisation nominative de leurs packagings respectifs. L’un et l’autre proposant, via Internet, d’imprimer et de recevoir un pot ou une canette estampillés à son prénom ou à celui d’un proche. Le fait qu’un géant européen et un colosse américain ait eu la même idée n’est pas surprenant : la plupart des entreprises (non seulement du secteur du food mais aussi de l’entertainment, du high tech ou encore des services) ont définitivement intégré l’hyper individualisme au cœur de leur stratégie. Le fait qu’il l’exploite en opérations marketing  concomitantes l’est davantage.

La démarche est moins beaucoup moins anodine et cosmétique qu’il n’y paraît. Elle permet d’abord de créer ou d’enrichir le lien entre les individus, rôle premier désormais des marques-médias. Nous sommes aux prises avec une reliance éminemment politique qui ne dit pas son nom.  

Par ailleurs, le prénom sur les packs remplace donc la marque. Avec Nutella, antidépresseur réputé, et Coca-Cola, dopant autorisé, la trinité consommation, consolation, consumation (pour reprendre les termes de Gérard Mermet) est actualisée, dans une manière de fusion/confusion idéale. L’identité du consommateur, logotypée, recoloriée, se retrouve happée à travers le branding. Traduction ultime d’un consumérisme paroxystique ? De fait, est-ce le prénom qui préempte la marque, ou la marque qui graphiquement et symboliquement avale l’acheteur ? En maintenant ouverte ces deux hypothèses, les marques concernées réalisent un tour de force.

lundi 8 juillet 2013

En vert et contre tout

Au théâtre, le vert est une couleur maudite et proscrite. On se prend à rêver que les marketeurs de tous horizons envisagent leur métier comme un théâtre d’ombres, et en tire les mêmes conséquences…


Après Mc Donald’s ayant changé en 2009, sans tambour ni trompette, de manière subreptice voire quasi-subliminale, la couleur de son logo du rouge au vert, un nouvel acteur américain du food joue la carte du greenwashing version light. Coca-Cola vient en effet de lancer en Argentine (en prélude à une prochaine diffusion planétaire) le nouveau produit de sa gamme de sodas : Coca-Cola Life, à base de Stevia, cette plante sud-américaine au pouvoir sucrant dont les vertus feraient rougir la plus vigoureuse des pousses d’Aloe Vera. Un lancement porté par une nouveauté tout sauf cosmétique : un packaging vert chlorophylle, qui vient compléter la douce polychromie du fabriquant. La conjonction du vert et du terme « life » engendre une forme de sidération, sans doute accentuée par un spot TV dédié aussi démagogique que… sirupeux.
Non content d’avoir déjà préempté la thématique du bonheur - puissante, différente car beaucoup plus engageante que des thèmes connexes tels que la joie ou le plaisir, largement utilisés en marketing... - via sa signature précédente, après avoir allègrement surfé – et continuer de le faire – sur le registre et le vocable de l’amitié (cf. article précédent), voilà que le roi du soda accole sans ambages à sa marque le mot "vie". Rien de moins.

La vie,  notion absolue et précieuse, que seuls quelques acteurs économiques de l'assurbanque et de la prévoyance sont enclins (et censément légitimes ?) à porter. Venant d’un acteur irréprochable de la cause verte, cela semblerait très audacieux. De la part d’une entreprise respectable et besogneuse (Renault, en 2010, promouvait dans un film TV une « automobile en faveur de la vie »), cela passerait pour une maladresse. Porté par une entité dont l'offre nutritionnelle ne sert que de très loin la santé publique, et dont la contribution à l'équilibre planétaire n'est pas précisément distinctive, la démarche vire au burlesque. Rouge mais hélas jamais rougissant, Coca-Cola s'évertue à creuser le sillon de l’indécence. En vert et contre tout. Et de frissonner à l'idée du prochain thème que s'arrogera cette megabrand...

vendredi 3 mai 2013

La tyrannie du lien

« Si t’as pas d’ami, prends un Curly ». On aura vu baseline plus travaillée, fût-ce pour des biscuits ultra légers et purement apéritifs. Il n’empêche, la proposition fait mouche, a fortiori auprès d’un jeune public de nature festive. De fait, loin d’être un épiphénomène créatif, la thématique de l’amitié (et la tyrannie du lien qu’elle induit et imprime), irrigue de façon frappante le champ publicitaire. D’autant plus en ces temps hyper individuels où les liens, précisément, tendent à se distendre.
 
Ainsi pour Nescafé, dans sa dernière campagne TV aux antipodes de la froideur statutaire de Nespresso, un mug de café soluble est le prétexte pour refaire lien et reprendre langue avec ses "amis" Facebook. Dernier avatar de cette reliance singulière : Coca-Cola qui, non content de nous seriner son invitation à « ouvrir du bonheur », invite à le partager avec « un ami ». Avec en point d’orgue sur ses canettes rouge sang, une intégration typographique glaçante de la formule « un ami », brandée, logotypée, vampirisée par la marque.
Là où la politique échoue, là où la religion patine, là où les idées ont renoncé – fédérer les individus – certaines grandes marques excellent. Le pouvoir socialisant des marques n’est pas neuf. Evolution de taille cependant : alors qu’elles prétendaient améliorer voire enjoliver le quotidien, aujourd’hui elles aident censément à vivre. Le consom’acteur y gagne assurément. Quid de l’individu ?